Un soir, en rentrant chez moi, dans le métro. Une femme, la quarantaine, n’arrête pas de râler. « Pfff. Quel monde. Temps pourri, vive mai. Quelle ville de merde ! »
Je ris poliment, amusé parce qu’en fait le metro je ne le trouve pas si bondé que cela, pour moi il est plutôt clairsemé.
« Vive la province ! »
Je la regarde en souriant poliment, cela désamorce souvent la situation, ou tout du moins évite de l’empirer. Il m’est assez désagréable de subir l’énervement des autres, surtout dans des espaces confinés. C’est stupide, mais c’est comme ça.
Puis, elle sort un paquet de fraises tagada, m’en propose une.
« Non merci, c’est très gentil. »
En plus, je n’aime pas ça.
« C’est vrai, les fraises tagada c’est rose c’est pour les filles. » m’explique-t-elle.
« Mon fils n’en mange pas non plus, il mange les schtroumpfs. »
Puisque j’ai un sens aigu de la conversation, j’ose un « Ah oui, effectivement, le bleu c’est pour les garçons il paraît. »
Puis, elle me décrit son trajet « Je vais chez une amie, qui a une grande maison, de l’espace près d’une forêt. Vivement que j’y sois, au moins là bas il y a de l’espace et puis c’est calme ! Je descends à Denfert pour prendre le RER. »
Finalement, vous voyez qu’elle est gentille cette provinciale.
« Ah oui ? Vous prenez quel RER ? »
« La ligne B, vers Antony ».
Ma pauvre dame. Le rer B, à cette heure-ci… Comment dire… Vous savez, le métro à côté … non en fait je ne dis rien. Elle verra bien.
Puis, nous descendons « Ah ces parisiens, toujours à tirer la gueule ! Comme s’ils avaient un cancer et pas de bras pas de jambes ! »
Moi en tout cas j’en connais une, qui ne la tire pas forcément mais qui en a une grande. Je ris poliment.
« Vous êtes ingénieur ? »
Ahem. *tousse* Démasqué ! Comment peut-elle savoir ?
« Cela se voit tant que cela ? Oui, je suis étudiant dans une école d’ingénieurs. »
« J’ai un fils qui est ingénieur. »
Celui qui mange les schtroumpfs ? Après tout, pourquoi pas. Tout le monde a le droit de préférer les schtroumpfs aux fraises tagada. Puis elle m’a demandé ce que j’étudiais exactement, petit speech sur l’école, etc.
« Vous comptez étudier à l’étranger ? »
« Je ne sais pas, a priori non. Je laisse du temps au temps, on verra bien. »
Une réponse un peu bateau parce que je n’en sais rien, et puis même si je le savais je n’ai pas forcément envie de lui raconter ma vie, même si elle a visiblement très envie de me raconter la sienne.
« Moi, à votre place, j’irai à l’étranger. Je suis dans le juridique, et honnêtement, j’irai ailleurs. »
Puis, les chemins se séparent. Au revoir madame, bonne journée.
Troublant.
Plusieurs conclusions possibles :
- Cette brave dame m’a identifié comme son fils. Une explication un peu psycho-truc. Pourquoi pas ?
- Elle a une boule de cristal et s’en est servie.
- C’est un être venu d’ailleurs (le futur, mars, tout est permis) pour me conseiller de partir à l’étranger, afin de m’inclure dans un plan international. Je suis sans doute l’acteur d’un événement à l’échelle planétaire. Ou bien elle veut m’éviter une catastrophe.
- Les juristes ont un don particulier pour identifier les vocations.
- J’ai la tête de l’emploi. Je suis fait pour être un ingénieur.
Il faut que j’aille expliquer tout cela à ma prof de physique, qu’un être venu d’ailleurs et du futur s’est servi de sa boule de cristal et m’a clairement dit que j’avais la tête de l’emploi et la vocation pour être ingénieur.
Et en plus, si je n’ai pas mon diplôme à temps, je ne pourrai pas aller travailler à l’étranger à temps et donc je ne pourrai pas sauver la planète d’une catastrophe mondiale, puisque je suis d’après elle très clairement impliqué dans des événements graves à venir.
En conclusion, même si j’ai royalement raté mes partiels, je dois absolument valider mon année, sinon le monde entier sera perdu.
Vous croyez que ça passerait ?